Quand on ouvre la porte, on ne pénètre pas immédiatement dans la nef : on se trouve dans un espace rectangulaire formé au nord et au sud par les deux murs, à l’est par le porche et à l’ouest par un second portail. Ainsi se trouve constitué une sorte de sas, dont le plafond est constitué par l’arrière de la tribune. Cette disposition est exactement celle de bien des narthex romans. Dans une église, le narthex se situe entre le parvis et la nef, à mi-chemin, en somme, entre la cité et le sanctuaire. C’est le lieu où se rassemblaient les fidèles non baptisés, qui n'avaient pas le droit d'entrer dans l'église et assistaient à la messe de loin. C'était aussi le lieu où les pélerins pouvaient s'abriter, voire passer la nuit. Les narthex étaient volonters assez vastes, et celui de Notre-Dame de la Paix n'en est qu'un symbole. |
Vézelay (Yonne): le narthex (Photo publiée avec l'autorisation de http://architecture.relig.free.fr/) |
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Mais là s’arrête la comparaison. Car le narthex de Notre-Dame de la Paix est particulièrement énigmatique : seul sans doute de tous les narthex connus, il ne présente absolument aucun éclairage naturel. C’est un narthex sans fenêtre. Pourtant il n’était pas si difficile de creuser les piliers de pierre pour établir au moins un soupirail de chaque côté. Ou de rehausser le sol de la tribune d’une vingtaine de centimètres pour percer le tympan d’une meurtrière horizontale. Le fait que ces solutions n’ont pas été mises en œuvre suggère que l’obscurité dans laquelle le narthex se trouve plongé répond à un propos délibéré. Regardons un peu plus. Le plafond du narthex est très bas. Du point de vue architectural il n’était pas si simple de faire autrement ; mais tout de même le prix à payer, cette étrange pièce aveugle, paraît bien inacceptable : et même si ce n’est pas de propos délibéré, cette pesanteur du plafond ne manque pas de faire sens ; tout comme font sens, certainement, le fait que la quasi-totalité du narthex est faite de béton brut : sur les deux côtés la pierre reprend sur un petit mètre pour disparaître ensuite, recouverte, submergée, avalée par le béton. |
Que dit tout cela ? Peut-être justement que ce passage par l’obscurité est nécessaire. Passage par l’obscurité, mais aussi par l’étroitesse : non seulement le plafond est très bas, mais les murs de béton se rapprochent l’un de l’autre jusqu’au portail intérieur. On croise ici, à l’évidence, le thème de la crypte, et on ne compte plus le nombre d’églises qui à bas bruit suggèrent qu’elles sont des cavernes : sans même évoquer les églises rupestres comme Saint-Emilion (Gironde), une telle suggestion va de ces deux ou trois inexplicables marches qu’il faut descendre pour aller du portail à la nef, et qui semblent faire pendant aux trois marches qu’il faut monter pour accéder au chœur, comme si nul ne pouvait monter sans être préalablement descendu, à l’extraordinaire église de Vals (Ariège), dans laquelle on pénètre par une fente de rocher[1] .Qui pénètre dans le narthex de Notre-Dame de la Paix songe bien vite au thème de la caverne, au tunnel creusé, et par lequel il faut passer pour accéder à la lumière. Et c’est pourquoi, peut-être, la pierre, qui manifeste l’action civilisatrice de l’homme, fait ici place au béton brut, si voisin de la roche. Alors le narthex de Notre-Dame de la Paix, loin d’être une erreur architecturale devient le narthex absolu, lieu de l’incertitude et de l’espérance. |
L'entrée de l'église de Vals (Ariège) (Source: Wikimédia commons) |
Remarquons pour finir :
- À droite et à gauche, les portes, de même facture que celle des deux portails, qui ouvrent au nord sur l’escalier à vis montant à la tribune, au sud sur le baptistère, dont nous reparlerons.
- Sur le mur nord, une plaque rendant hommage à l’action des élèves d’HEC, et plus spécialement aux « trois Jean » : Espinasse, de Mallmann, Robert ; juste au-dessous une plaque de cuivre est dédiée au P. Espinasse.
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- Et à droite le bénitier, créé par Louis Chavignier, dont nous reparlerons. Ce bénitier est un monolithe taillé dans la pierre de Lorraine en forme de tronc de cône incliné et à section ovoïde, dont la face supérieure est à peine excavée, de la valeur d’une assiette, et dans laquelle on ne peut déposer qu’un peu d’eau ; la porosité de la pierre entraîne une diffusion de l’eau par capillarité donnant ainsi l’illusion qu’à l’inverse c’est de la pierre que l’eau suinte. Cette image résonne tout naturellement avec celle de la caverne, mais aussi avec l’épisode de Meriba : |
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Le bénitier (Photo: Michel Cavey-Lemoine) |
Nous pouvons enfin pousser la porte et entrer dans le vaisseau principal.
Après l’exiguïté du narthex, la première chose qui saute aux yeux, c’est la vastitude de l’espace. Surprise du contraste, assurément, car en réalité la nef n’est pas très grande : Notre-Dame du Raincy est plus longue de 15 mètres, et plus large de 3. Mais cette impression d’étendue est sans doute renforcée par le fait qu’aucun pilier ne vient arrêter l’œil, et que la courbure des murs incite le regard à tourner sans que là non plus rien ne l’accroche. Mais aussitôt vient une seconde évidence : l’église est incroyablement sombre. Comment une telle chose est-elle possible ? On sait que depuis qu’ils bâtissent des églises la lumière est l’obsession des architectes. On a même dit que le gothique a été inventé pour pouvoir construire des édifices plus clairs. Cette affirmation classique est solidement étayée : on sait notamment qu'à Saint Denis Suger avait voulu faire à la lumière une place essentielle. Toutefois elle demande certainement à être nuancée, et ce pour trois raisons au moins. |
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La première est une évidence : les derniers édifices romans sont nettement plus lumineux que les premières églises gothiques. La seconde est que pour une bonne part ce qui conditionne la luminosité intérieure d’une construction est la couleur de la pierre (et que les églises étaient peintes). Mais la troisième raison est qu’à un bâtisseur qui souhaite apporter de la clarté à une maison, la première idée qui vient n’est pas de peindre les fenêtres : l’une des fonctions du vitrail est certes de créer des murs de couleur et de projeter sur les piliers les éclats des pierres précieuses dont sont faites les assises de la Jérusalem céleste, mais cela se fait tout de même bien au détriment de l’éclairage. Il n’empêche : la recherche de la lumière était au centre du projet de ces bâtisseurs ; et ce qui entravait les ingénieurs romans, c’était la difficulté qu’ils avaient à percer des fenêtres dans des murs dont seule la masse pouvait contrebuter la poussée des voûtes. |
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Et, justement, ce problème ne se posait pas pour Novarina : comme on l’a vu la conception même de l’église fait que le toit ne repose pas sur les murs. Les murs n’ont aucun rôle porteur, ils ne servent qu’à délimiter l’espace, et on pouvait tout à loisir les percer, des baies vitrées auraient tout aussi bien fait l’affaire.
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C’est d’ailleurs ce qui avait été fait à Notre-Dame du Raincy (de là vient sans doute le surnom qui lui a été donné de « Sainte-Chapelle du béton armé »), tant les murs y sont, comme dans le sanctuaire parisien, presque totalement faits de verre. Les deux clichés présentés ici suffisent sans doute à illustrer le caractère peu lumineux de ces édifices, surtout au Raincy. |
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Dans ces conditions, le fait d’avoir opté pour des ouvertures aussi petites constitue un contre-pied qui n’a pu être que conscient. Notons en passant que ce problème d’éclairage n’est pas propre à Notre-Dame de la Paix : l’église d’Assy, édifiée par le même Novarina, n’est pas un modèle de clarté. Mais on trouverait sans peine de nombreux autres exemples d’églises dans lesquelles la question de la lumière est totalement négligée ; c’est notamment le cas des édifices à coupoles, construits en référence à l’architecture byzantine : à un jet de pierre de Notre-Dame de la Paix, l’église Notre-Dame des saints Anges apparaît bien sombre, et on ne dira rien de l’église parisienne du Saint-Esprit, dans laquelle il est pratiquement impossible de seulement réaliser une photographie[3]. Sans doute ce désintérêt des architectes est-il lié aussi au fait qu’ils comptaient sur l’électricité pour résoudre le problème ; il n’en est pas moins important de le souligner. D’autre part le goût a probablement changé, et il y avait sans doute, au moins dans les lieux de culte, une certaine appétence pour la pénombre; c'est en tout cas la conviction à laquelle on arrive assez facilement en visitant l'église saint Joseph du Havre, dont on a parlé à propos de l'histoire de l'architecture sacrée et de l'oeuvre d'Auguste Perret: les ouvertures s'y réduisent à quelques claustras bien plus chiches qu'au Raincy, et qui ont davantage le rôle de colorer les murs que de diffuser une chiche lumière jaune-rouge. Cependant la pénombre n'est que partielle, l'immense tour qui coiffe tout l'édifice constitue un appel de lumière quasi suffisant, et il ne faut que quelques minutes pour se trouver conquis par l'ambiance.
Laissons-nous donc guider par l’impression. On est passé par l’épreuve du narthex, et on se trouve dans un espace, certes plus éclairé, mais auquel tout de même il faut s’habituer. C’est le matin qu’il faut venir, en mai ou juin, vers neuf heures, quand le soleil parle encore un peu par les meurtrières du tympan tout en commençant de frapper aussi les ouvertures du mur sud ; encore faut-il se rappeler que l’effet était sans doute plus spectaculaire à l’origine, quand l’immeuble voisin n’était pas encore bâti, et que la haie de jeunes cyprès vient aggraver cette perte ; actuellement l’effet ne joue à plein que pour les fenêtres de la moitié occidentale du mur.
Il y a soixante-trois embrasures, qui sont fermées par des vitraux dans les tons de jaune à rouge, dont, à partir du narthex, la tonalité se renforce progressivement à mesure qu’on approche du chœur, commençant par un délicat pastel pour s’achever dans une flamboyance plus soutenue. On s’aperçoit alors que l’église est envahie d’une lumière dorée, irréelle, qui joue avec les tons crème de la pierre, avec le mobilier de bois rouge et de cuivre. Plus intense, cette lumière n’ajouterait que des contrastes ; au contraire c’est par sa douceur qu’elle agit sur l’esprit : lumière non de gloire mais de paix, toute entre les jaunes et les orangés, comme un feu à la fois manifeste et discret, à laquelle vient s’opposer le bleu complémentaire de la grande verrière. | L'église, mur sud (Photo: Michel Cavey-Lemoine) |
Le contraste est saisissant entre le côté sud et le côté nord, lequel est, à l’exception de cette verrière et de la chapelle de la Vierge, totalement aveugle. La lumière définit ainsi un nouvel axe d’orientation, volontiers matérialisé par les rayons eux-mêmes, et renforçant le rôle véritable de la verrière. Car on aurait bien tort de réduire le vitrail à une source d’éclairage ; un vitrail est d’abord une fenêtre peinte, et une fenêtre a une double fonction : d’abord faire entrer la lumière, mais ensuite montrer ce qu’il y a dehors, et c’est pourquoi on a écrit plus haut que tout vitrail est d’abord l’hallucination du monde qui vient ; qu’il suffise d’évoquer la vision de l’Apocalypse à la rose sud de Chartres. À Notre-Dame de la Paix la grande verrière, orientée nord-nord-ouest et traitée dans des tons de bleu intense est bien incapable d’être une source de lumière. Bien plutôt elle est dans l’axe des rayons qui du sud viennent la frapper ; c’est vers elle, mais de l’intérieur, que porte le regard. Et c’est au petit matin qu’à cet éclairage en tons de jaune venant du sud vient s’ajouter celui, bien plus blanc, des ouvertures du tympan ; éclairage plus discret, dont la fonction est sans aucun doute plus proche, nonobstant l’anomalie constituée par l’orientation inverse du vaisseau, de celle de ces oculus qui, à l’abside des églises cisterciennes, se trouve exactement à l’est, dans l’axe du chœur, et à telle hauteur qu’à l’aurore il laisse passer les plus hauts des rayons du soleil alors que l’astre lui-même n’est pas encore levé[4]. |
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Jetons un coup d’œil au plafond, où derrière la peinture noire on distingue encore les traces du coffrage : le fait que le paraboloïde hyperbolique soit engendré par le déplacement d’une droite permet en effet de coffrer cette surface pourtant courbe avec des planches. La diagonale des planches et la peinture noire induisent l’impression, totalement fausse, que le plafond est plat ; de même la hauteur fait illusion : au creux de la selle, là où la voûte forme un arc virtuel qui repose sur les deux groupes de poteaux, elle est de 6,3 m ; aux extrémités, aux points les plus hauts, elle est de 8,2 m ; pourtant la différence entre ces deux points semble bien plus importante. Ceci est lié au fait que, comme on l’a vu, un trompe-l’œil fait croire que la voûte est presque plane ; du coup le regard prend comme repère les points où cet arc virtuel se pose sur les murs, à environ 4 m du sol. Le résultat est de donner au chœur cette ampleur spectaculaire.
Deux vues saisissantes de la "voûte" Remarquer les traces de coffrage |
(Photos: Michel Cavey-Lemoine) |
Il suffit de se retourner un instant et de considérer la tribune pour constater que de ce côté, où la masse du béton fait un repère visuel, la voûte paraît beaucoup plus basse. Mais ce n’est pas ce qui frappe le plus dans cette étrange partie du monument. Disons-le tout de suite : la tribune est massive, sombre, presque inquiétante, et ce n’est probablement pas ce que Notre-Dame de la Paix présente de plus beau. Il s’agit d’une construction grossièrement triangulaire, dont les angles nord et sud viennent d’ailleurs heurter, presque blesser, les courbes de la nef.
Examinons la manière dont la tribune est bâtie. On se souvient que le narthex est grossièrement octogonal, et que du côté de la nef les parois nord et sud sont constituées d’un mur de moellons regardant vers le porche et un mur de béton regardant vers la nef. Du coup on s’aperçoit que le narthex vient faire saillie dans la nef : la porte avance d’un bon mètre tandis qu’au nord et au sud la paroi de moellons du narthex vient également se prolonger dans la nef, pour se terminer au droit de la porte. Dans les alvéoles ainsi constitués de chaque côté de la porte l’architecte a logé deux confessionnaux fermés par des portes reprenant la facture de toutes les portes de l’église.
La tribune est assise sur quatre poutres de béton : au nord et au sud ces poutres reposent pour l’essentiel sur le mur de pierre du narthex ; au centre elles forment un V qui s’appuie de même sur les murs de béton. En somme la tribune se trouve en équilibre, et les poutres qui la soutiennent trouvent leur contrepoids dans le narthex et le mur du porche. On trouve là comme un écho du thème du toit de l’église. Cette vaste tribune est apte à recevoir une grande chorale, ou peut-être un orgue d’une vingtaine de jeux, à condition bien sûr que le buffet n’en vienne pas altérer la lumière déjà maigre dispensée par les fenêtres du tympan. Nous ne dirons rien de la balustrade de fer et de bois qui vient la sécuriser, à moins que, considérant que cette balustrade est à peine digne d’un pavillon de banlieue, on ne veuille y voir l’évocation de Villeparisis. |
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Avançons maintenant tranquillement par l’allée centrale. On remarque à peine le dallage en comblanchien, ce calcaire du Bourgogne qui va du beige au rosé et qui renferme volontiers quelques petits coquillages fossiles. La douceur de sa teinte vient renforcer encore le caractère chaleureux de l’ambiance générale. Mais surtout il convient de s’attarder un peu sur les bancs. Ce sont des bancs massifs (il suffit d’essayer de les soulever), réalisés par Jacques Michalon, (artisan drômois au parcours peu banal puisqu’il est ancien élève d’HEC) dans un bois exotique très chaud appelé nyangon, sur les plans du décorateur Perreau, de Vincennes.
Le parti qui a été choisi est celui, contrasté, de la robustesse et de la tendresse des formes, sans une aspérité, toutes les arêtes étant adoucies de manière a caresser la main qui s’y porte. Remarquons aussi que les bancs sont assemblés à l’ancienne, exclusivement avec des chevilles. L’ensemble apporte une touche supplémentaire de couleur, et surtout de paix, non point tant parce que leur poids rend bien impossible de les déplacer ou même seulement d’en tirer un grincement, mais parce que leur forme et leur teinte sont une puissante invite au silence. | Les bancs (Photo: Michel Cavey-lemoine) |
Le choeur (Photo: Michel Cavey-Lemoine) |
La lente progression dans l’allée centrale conduit naturellement au chœur, que l’œil trouve vaste, d’abord parce qu’il l’est relativement, mais aussi parce que l’élévation du plafond en renforce l’impression. À cet endroit, bien entendu, les murs se rejoignent, et cette jonction réalise pratiquement un demi-cercle ; à condition d’oublier qu’il n’y a pas de voûte, à condition d’oublier qu’il n’y a pas de fenêtres, on croirait presque trouver là le cul-de-four d’une abside romane. Le sol du chœur est à trois niveaux. Le premier niveau, qui correspond à la surface la plus grande effectue une sorte de transition entre la nef et ces lieux plus sacrés que sont l’autel et le tabernacle. |
Dans cette église sans transept, la limite entre le chœur et la nef est marquée par une première marche ; dans l’état actuel de l’église on en voit deux, mais la seconde n’est pas d’origine : il s’agit d’une estrade de bois recouverte d’un linoléum ; le résultat est qu’on gravit deux marches pour aller de la nef au chœur, puis deux pour monter à l’autel, alors que dans le schéma d’origine il y a une marche pour aller au chœur et trois pour monter à l’autel.
Pourquoi cette disposition d’origine ? Il faut se rappeler que Notre-Dame de la Paix a été édifiée avant la réforme liturgique de Vatican II. À cette époque il existait une limite visible, appelée clôture du chœur, qui le séparait de la nef ; c’était le plus souvent une balustrade de fer plus ou moins ouvragée, ouverte en son centre par un portillon à deux battants par lequel le célébrant pouvait passer. Au moment de la communion les fidèles s’avançaient par rangées, s’agenouillaient sur la marche séparant le chœur de la nef, posaient les mains sur la balustrade cependant que le prêtre leur posait l’hostie dans la bouche. La marche unique servait donc à la fois de séparation et de prie-Dieu et il ne pouvait y en avoir qu’une, faute de quoi le prêtre, qui aurait surplombé les fidèles d’une quarantaine de centimètres, aurait dû se baisser pour donner la communion. La clôture était scellée dans le sol, et il est probable que les traces de ce scellement se trouvent sous l’estrade.
Ensuite, donc, on montait deux marches (actuellement une seule) pour arriver à l’autel, qui se trouvait ainsi visible de toute l’assemblée ; précaution d’autant plus nécessaire qu’à cette époque le prêtre disait la messe face au tabernacle, dos tourné aux fidèles, et que la plupart de ses gestes leur échappait donc complètement. Il faut remarquer que l’autel est placé de telle sorte qu’on peut dire la messe tout aussi bien de face ou de dos.
Derrière l’autel on peut encore gravir deux marches pour aboutir à une sorte de saint des saints : le tabernacle.
Remarquons pour finir, à droite du tabernacle, la crédence où le servant de messe dispose les burettes et le manuterge[5], et à gauche la lampe, qui devrait être à huile, et qui doit brûler en permanence dans toute église.
Revenons maintenant à l’angle nord-est de l’édifice.
À Notre-Dame de la Paix, c’est tout le mur nord qui semble dédié à la Vierge. Ce n’est pas sans raison, car le nord a quelque chose à voir avec Marie. La Vierge Marie n’est pas seulement l’ « étoile du matin », recyclant ainsi une partie du mythe de Vénus (ou, pour être plus précis, de l’Aphrodite ouranienne dont parle Platon dans le Banquet, et qui est fille du Ciel et déesse de l’Amour pur) ; elle est aussi l’étoile polaire, ce point fixe du ciel autour duquel tournent toutes les étoiles, et où se trouve la porte par laquelle les cieux supérieurs communiquent avec le monde d’ici-bas[6].
Au fond de l’église, dans l’encoignure laissée par l’octogone du narthex, à la place où de l’autre côté se trouvera le baptistère, on trouve la chapelle de la Vierge. Chapelle exiguë, certes, car de l’autre côté du mur il faut loger l’escalier qui monte à la tribune ; chapelle quand même. Elle est actuellement presque réservée à une dévotion très populaire et largement axée sur Thérèse de Lisieux, ce qui en modifie nettement l’ambiance et n’en rend pas la visite très facile. Il faut tout de même s’arrêter sur le bas-relief de la « Vierge aux lys ». L’artiste n’a représenté de Marie que le visage ; c’est celui d’une toute jeune fille, quinze ans à peine, qui se tient les yeux fermés, la tête doucement inclinée sur la gauche, visiblement assoupie dans une paix qui évoque celle de la Vierge du tympan. Sa chevelure blonde est tenue par un voile dont les pointes se prolongent de chaque côté par une feuille d’un végétal qui n’a aucune raison d’être un lys, mais cela importe peu. Plus bas on devine les épaules de la Vierge. L’originalité de cette sculpture est d’être teintée, de bleu pour le voile, d’or pour les lys ; on retrouve là bien sûr les couleurs de Marie, et cela vient accentuer l’impression de douceur et de pureté de la composition. |
La Vierge aux Lys (Photo: Michel Cavey-Lemoine) |
Chapelle de la Vierge: les vitraux (Photo: Michel Cavey-Lemoine) |
À ces deux couleurs font écho les fenêtres de Jacques Loire, traitées elles aussi en bleu et jaune. Elles sont au nombre de six (car la septième ouverture observée au mur nord sert à éclairer la cage de l’escalier menant à la tribune), chiffre au symbolisme complexe, qui évoque notamment l’équilibre entre la créature et le créateur, mais aussi l’épreuve dont on sort victorieux et la médiation entre le terrestre et le céleste, toutes notions qui s’appliquent assez bien à la Vierge Marie. Placées comme elles sont, ces fenêtres, il faut bien l’avouer, n’éclairent pas grand-chose, mais sans doute n’est-ce pas leur fonction ; il faut, quand les jours sont longs, entrer dans l’église de bon matin, ou vers le soir : le bleu marial se donne alors à voir pour lui-même, d’une pureté, d’une intensité et d’une innocence particulièrement émouvantes. |
Il nous reste à terminer notre visite en retournant dans le narthex.
Outre les grandes portes à deux battants ouvrant, l’une sur la nef, l’autre sur le dehors, il y a deux portes simples : celle du nord-est donne accès à l’escalier de la tribune, celle du sud-est conduit au baptistère.
Ouvrons la porte : le baptistère se trouve dans une sorte d’encoignure plutôt exiguë ; elle occupe au sud l’espace qui de l’autre côté est dévolu à l’escalier de la tribune et à la chapelle de la Vierge. Nécessité sans doute de l’architecture. Mais si nécessité fait loi, elle peut aussi faire sens. Et le baptistère est dans un coin. Le coin est volontiers le lieu de l’espace perdu, et si on n’y prend pas garde il devient facilement, ce fut d’ailleurs le cas à Notre-Dame de la Paix, un débarras : on met les choses dans un coin. Mais qu’arrive-t-il quand le coin devient lieu d’une vie ou espace pour une action humaine ? Ce que je fais dans un coin, c’est ce qui m’est cher, ce qui me ressemble, ce dont je suis jaloux parce que cela me définit. Il suffit pour le comprendre de relire Bachelard :
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Sans doute ne nous attendions-nous pas à cela : tout compte fait le meilleur endroit pour installer un baptistère, lieu par excellence où l’enfant va se voir appelé à son être profond, à l’être-pour-Dieu, ce meilleur endroit pourrait bien s’avérer un coin.
Mais c’est loin d’être suffisant, bien sûr, et l’essentiel est ailleurs. Regardons ce qui s’offre à nous, d’ailleurs nous l’avons déjà un peu vu : c’est un lieu assez sombre, chichement éclairé (même si au matin, et dans le projet d’origine, on y voyait certainement mieux qu’actuellement où l’immeuble voisin vient occulter les rayons du soleil) par les premières fenêtres du mur nord. Ceci n’est pas inhabituel : le baptistère de Pise, celui du Puy-en Velay, ne sont pas des lieux de vive lumière. On pourrait dire que la lumière remise au baptisand est celle du cierge, celle de la foi qui seule lui permettra de traverser la nuit du doute. La grande lumière de la Révélation sera pour beaucoup plus tard. Mais très vite nous nous apercevons que le sol du baptistère est plus bas que ceux du narthex et de la nef, puisqu’il faudra gravir deux marches pour accéder à cette dernière : en somme il a fallu creuser, et creuser sans raison fonctionnelle.
Descente et obscurité : nous voyons là une déclinaison du thème de la grotte, lieu de toutes les naissances (combien de Nativités, combien de crèches populaires, dont le décor est non point une étable mais une grotte ?) et de toutes les révélations. L’eau du baptême n’est pas celle d’un fleuve, fût-il le Jourdain, c’est une eau souterraine qui jaillit. On croise ici le thème de la crypte, dont le prototype est celle de Chartres, dans laquelle se trouve un puits. Rappelons pour finir que l’eau est un thème éminemment marial, puisque l’eau est à la fois ce qui purifie et ce qui féconde ; l’eau est par nature la virgo parturitura : la vierge qui doit enfanter.
Le baptistère donne sur le narthex, ce qui répond à une nécessité logique : on sait que le narthex était le lieu où on recevait et instruisait les catéchumènes, alors que l’église était réservée aux baptisés. À l’occasion de la cérémonie de baptême les nouveaux chrétiens passaient donc par le baptistère avant de pouvoir accéder à la nef.
Dans ce lieu malheureusement exigu, trop pour être utilisé pour nos cérémonies modernes, on ne trouve que les fonts baptismaux, dernière œuvre de Louis Chavignier pour Notre-Dame de la Paix.
Il reste à lever la tête et à constater que le baptistère n’a pas de plafond. L’œil monte sans entrave jusqu’au toit de l’édifice. Le baptistère est une grotte, mais une grotte à ciel ouvert, une sorte de puits dans lequel il faut certes descendre mais du fond duquel on peut contempler le monde d’en-haut. Un lieu d’où l’on voit : c’est bien ce que nous disions de l’église gothique. De ce point de vue notre baptistère résume la moitié de l’architecture sacrée.
[1] On verra chemin faisant à quel point la symbolique du franchissement est importante dans Notre-Dame de la Paix. Il se trouve que c’était pour Novarina un thème particulièrement important, comme on le voit par exemple à sainte Bernadette d’Annecy.
[2] Exode, XVII 2-7.
[3] Cette église est d’autant plus importante qu’il s’est agi d’un des « chantiers du Cardinal » ; une plaque y commémore d’ailleurs la mémoire du cardinal Verdier.
[4] Preuve, s’il en fallait encore une, que tous ces gens connaissaient parfaitement la rotondité de la Terre.
[5] Le manuterge est la petite pièce de linge avec laquelle le prêtre s’essuie les doigts qu’il s’est lavés à l’offertoire et après la communion.
[6] Ainsi s’explique, du moins pour une bonne part, la rose nord de Chartres.