Le plan de l’église

 

L’irruption des matériaux modernes a permis aux bâtisseurs d’églises de proposer des plans totalement inédits. Notre-Dame de la Paix en est un des témoins les plus éclatants. Et à l’origine de ce projet, il y a deux hommes. Le premier est un architecte, Maurice Novarina (voir l’article « Le contexte historique »). Le second est un ingénieur, Bernard Laffaille.


Bernard Laffaille
(Source: Notre-Dame de la Paix, plaquette)

Bernard Laffaille (1900-1955) n’avait aucune vocation à s’occuper d’églises : il avait eu surtout l’occasion de travailler sur le problème des rotondes de chemin de fer, ces structures qui, dans les gares de triage, servent à faire pivoter les locomotives ; il s’agissait donc de concevoir de vastes hangars circulaires et couverts, et si possible, bien sûr, au moindre coût, compte tenu notamment de l’état dans lequel se trouvait, juste après la guerre, le réseau ferré français. Et il avait développé deux innovations essentielles :

-  La couverture des édifices par des voiles de béton armé ultra-minces : quelques centimètres de matériau suffisaient.

-  Le poteau-coque, structure en béton armé présentant une section en V, connu sous le nom de « V Laffaille », et qui alliait rigidité, légèreté et économie.

On trouvera des détails sur le site de la Cité de l'Architecture

A ces travaux vinrent s’ajouter ses recherches  le paraboloïde hyperbolique[1], étrange figure mathématique qui réalise une structure ressemblant grossièrement à une selle de cheval, et qui conjugue plusieurs qualités particulièrement intéressantes, surtout pour qui veut utiliser le voile mince :

-       Elle est facile à coffrer avec de simples planches (on le comprendra mieux en observant par en-dessous la « voûte » de Notre-Dame de la Paix : les traces des planches, encore visibles, sont utilisées comme élément décoratif).

-       Elle est à la fois rigide et légère.

-       Elle présente d’excellentes qualités acoustiques.

-       Elle est indiscutablement très belle.

C’est Gaudí (voir l’article « Le contexte historique ») qui a introduit cette forme en architecture, mais Laffaille la perfectionnera.


Paraboloïde hyperbolique
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)


L'église Notre-Dame de Royan
Photo publiée avec l'autorisation de http://www.bernezac.com/

Voile mince et paraboloïde hyperbolique seront utilisés conjointement dans deux édifices conçus à peu près simultanément par Laffaille : Notre-Dame de Royan (Charente-Maritime, 1955-1958) et Notre-Dame de la Paix (1955). Le « V Laffaille » sera mis en œuvre à Royan, mais pas à Villeparisis, car les dimensions de l’édifice ne le justifient pas.  Malheureusement l’ingénieur décédera avant la réalisation de ces deux projets, et les travaux de Notre-Dame de la Paix seront en réalité conduits par Ou Tseng. Reste qu'on ne peut guère dissocier les deux édifices, et qu'il ne faut pas manquer l'occasion de visiter Notre-Dame de Royan (voir sur ce point le site de Bernezac communication SARL, consacré au tourisme en Charente) .

L’église Notre-Dame de la Paix se présente donc dans le droit fil de l’évolution qu’on vient de décrire : vue de dessus elle est totalement symétrique et semble dessiner une ellipse presque parfaite (en réalité la figure du paraboloïde est plus complexe).

Il n’y a donc pas, comme ce serait le cas dans une église classique, d’un côté le chevet et de l’autre le porche, et c’est l’aménagement, non l’architecture, qui va orienter le vaisseau. Le plan basilical est totalement abandonné, au profit d’une forme qui évoque un œuf, ou si l’on veut un poisson.




Notre-Dame de la Paix, vue aérienne
(Photo offerte par Pixciel.fr)

Une saisissante vue en plongée
(Photo offerte par Pixciel.fr)


Quand on voit le bâtiment de profil on repère assez bien la forme du paraboloïde hyperbolique : le toit de l’église dessine effectivement une selle, le point le plus bas se situe exactement sur la ligne médiane de l’édifice, et le toit remonte vers les extrémités. Cette structure présente des propriétés mécaniques particulièrement intéressantes, car la contrainte liée au poids tend à se concentrer sur cette ligne médiane : c’est là que s’exerce l’essentiel de la poussée. Contrairement à ce qui aura fait la hantise de tous les architectes médiévaux, les murs ne sont pas porteurs, et tout le poids se porte sur deux culées reposant sur un mince poteau vertical renforcé par deux gros étais obliques formant un V renversé : le toit de l’église en quelque sorte y tient en équilibre, comme sur le fléau d’une balance.

On voit aisément le changement de conception par rapport à l’architecture religieuse traditionnelle.

La voûte classique est un arc de cercle : pour la construire on prend des pierres qu’on taille en léger biseau ; on les dispose de manière à former l’arc, et au milieu de cet arc on met une pierre, souvent plus grosse, dont la fonction est de verrouiller le tout.


Le pilier nord
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)

Mais cette clé de voûte est un point très fragile : elle tend à tomber. Ce qui l’empêche de tomber c’est qu’elle est tenue par les pierres voisines, au moins autant qu’elle les tient elle-même ; elle tend à les écarter, la poussée verticale se transforme en poussée latérale, et la voûte dans son ensemble tend à s’effondrer.


Une nef romane; Vézelay (Yonne)
(Photo publiée avec l'autorisation de http://architecture.relig.free.fr/)


Effondrement d'une voûte en plein cintre
(Source: E. Viollet le Duc: Dictionnaire raisonnéde l’architecture française du XIe au XVIe siècle, cité par Wikimédia commons)


Affaissement d'une voûte romane à Chapaize (Saône et Loire)
(Photo: Martine Cavey-Lemoine)

Ce qui empêche cet effondrement, c’est que les pierres voisines ne peuvent s’écarter, parce que de proche en proche elles reposent sur des murs solides et épais qui, eux, ne s’écartent pas ; on voit bien cependant que dans de nombreuses églises romanes la force de la poussée de la voûte a tout de même réussi à écarter les murs, provoquant un léger affaissement de l’arc[2]. La voûte romane tient dans la mesure où les murs la tiennent. Rien de tel à Villeparisis.

Ce changement de conception pourrait avoir quelque rapport avec le Novarina bâtisseur  de ponts.

Pour construire un pont il faut en somme construire une voûte : on taille les pierres de la même façon, et on les dispose de la même façon. La problématique est toutefois différente parce que ce ne sont pas des murs qui sont chargés de tenir la voûte : dans un pont les reins de l’arche reposent sur la roche des rives, et ces rives ne risquent pas de s’écarter. Reste que qui sait construire un pont n’est pas loin de construire une église. Or depuis la fin du XIXe siècle les architectes ont compris que la voûte n’est pas le seul principe permettant de construire des ponts. Pour le viaduc ferroviaire du Viaur, dans l’Aveyron, (1897-1902) le Français Bodin élèvera deux structures d’acier faisant fonction de piliers, sur chacune desquelles il posera, en équilibre, une poutre également métallique. Il n’y a plus de clé de voûte, plus de poussée, tout est en porte à faux, toute la poussée est verticale et s’effectue sur les piliers, et les deux éléments de base sont fixés d’un côté sur la rive, et de l’autre se tiennent comme font, en se prenant la main, deux équilibristes au sommet de pyramides humaines. C’est le système dit « cantilever ».


Le Pont du Diable à Olargues (Hérault)
(source: Wikimédia commons)


Le viaduc du Viaur (Aveyron)
(Photo publiée avec l'autorisation de http://www.aveyron.com/)

Novarina utilisera ce principe notamment pour construire le viaduc de Nantua (Ain) sur l’autoroute A40 en 1988. Et pour peu on en viendrait à trouver une prémonition de ce système dans l’église des Jacobins de Toulouse, avec ses deux voûtes accolées reposant d’un côté sur les murs et de l’autre sur une rangée de piliers, système qui sera recopié pour la magnifique voûte de bois de Sainte Catherine d'Honfleur.


Le viaduc de Nantua (Ain)
(Photo publiée avec l'autorisation de http://fr.structurae.de/)


Toulouse: église des Jacobins
(Photo publiée avec l'autorisation de http://architecture.relig.free.fr/)

En somme le principe du pont cantilever n’est pas très différent de celui de Notre-Dame de la Paix, et il n’y a pas très loin, peut-être, du toit de l’église Notre-Dame de la Paix au tablier du viaduc de Nantua.



[1] Voir  détails sur le site de l'académie d'Aix-Marseille. La manière la plus simple d’engendrer un paraboloïde hyperbolique est de prendre un cube et de tracer sur deux faces opposées les diagonales d’orientation croisée (c’est à dire celles qui ne sont pas dans un même plan oblique). La droite qui glisse de l’une de ces diagonales à l’autre tout en restant dans un plan perpendiculaire aux deux faces considérées du cube génère le paraboloïde d’équation z = xy.

[2] Cela a provoqué l’effondrement d’un bon nombre d’églises. Mais toutes choses sont relatives, et il ne faut pas oublier que pour la plupart cela fait tout de même huit ou neuf siècles que les voûtes romanes menacent de s’abattre.

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