La construction de l’église

 

L'implication d'HEC :

L’histoire de Notre-Dame de la Paix est indissolublement liée à celle de l’école des Hautes Études Commerciales[1].

Quel rapport peut-il bien y avoir ? Comment a-t-on pu amener les élèves d’HEC à prendre à cœur de construire une église à Villeparisis ?

A bien considérer les choses, la racine du projet se situe à la fin de la seconde guerre mondiale.


Jean de Mallmann
(Source: Plaquette "la communauté catholique HEC, CER éd.).

  Les élèves d’HEC ont pris une très honorable part dans la Résistance, et à la Libération (comme d’ailleurs beaucoup de leurs frères d’armes), ils n’imaginaient pas de pouvoir reprendre la vie là où ils l’avaient laissée : il fallait à toute force perpétuer l’ « esprit de la Résistance ».

C’est alors qu’en 1946 le Père Jean de Mallmann, aumônier d’HEC, lance le projet d’une « communauté chrétienne » à l’intérieur de l’école. Cette idée de créer des communautés était très en vogue dans l’immédiat après-guerre. Il s’agissait de proposer aux élèves, non point d’ouvrir un monastère, mais au moins de vivre une véritable fraternité fondée sur la prière et l’action en commun.

La Communauté se constituera notamment (mais pas exclusivement) lors de retraites spirituelles au Foyer de Charité de Châteauneuf de Galaure, dans la Drôme, autour de la personne de Marthe Robin[2]. La dévotion mariale en sera un point fort, ce qui n’est pas sans importance si on considère que l’église de Villeparisis est dédiée à Notre-Dame. Dès avant la guerre il avait organisé des pélerinages à Chartres, des retraites spirituelles dans des lieux qui parlent encore aux chrétiens de cette génération, comme la villa Manrèse à Clamart, Ligugé, le Bec-Hellouin, et sur la tombe de Charles Péguy.

Pour l’aumônerie d’HEC en effet, la figure de Charles Péguy occupait une place importante (ce qui est d’ailleurs assez usuel dans cette partie de la société de l’époque) ; pour cette raison la tombe de Péguy[3], à Chauconin-Neufmontiers entre Claye-Souilly et Meaux[4], était un lieu classique de pèlerinage. Charles Péguy exercera une grande influence sur les intellectuels chrétiens, st spécialement dans le milieu social qui était largement celui d’HEC. Un peu comme Marthe Robin, et sur les mêmes personnes.

Or Péguy était un patriote, mais certainement pas un va-t-en guerre, et sa mort au champ d’honneur revêt une forte valeur symbolique. On pourrait presque soupçonner que Notre-Dame de la Paix doit à Marthe Robin sa référence à Notre-Dame, et à Péguy sa référence à la paix. 


 Charles Péguy
(Source: Wikimédia commons)

Parmi les actions de la Communauté, on trouve le projet d’aménager un immeuble pour en faire un foyer étudiant, destiné à accueillir les condisciples peu fortunés. L’opération tournera court, mais des fonds ont été collectés, et un immeuble a effectivement été acheté.


Jean Robert
(Source privée).

 Lorsque se constitue le Cercle des Anciens, sous l’impulsion notamment de Jean Robert, qui sera le grand homme de cette aventure, ses membres sont très soucieux de ne pas se borner à quelques pratiques religieuses, mais bien plutôt de se consacrer à des œuvres concrètes ;  le projet est repris, puis finalement abandonné: le déménagement de l'école à Jouy-en-Josas le rend complètement hors de propos.

Jean Robert s’interroge alors sur le fait que HEC a fourni un nombre important de prêtres. Il constate par ailleurs que l’esprit d’entraide et de fraternité est une composante majeure de l’esprit d’HEC. Mettant ces deux faits en parallèle, il en vient à se dire qu’il incombe aux chrétiens d’HEC d’épauler au moins les prêtres issus de leurs rangs.  

Or voici qu’en 1950, le Père Jean Espinasse, ancien élève d’HEC est curé de Villeparisis ; il se rend parfaitement compte que l'église Saint-Martin est trop excentrée par rapport à la ville, qui a envahi, peu à peu, la zone située entre la RN3 et le canal de l'Ourcq. Il existe bien, à peu près à l’endroit de Notre-Dame de la Paix une chapelle en bois, mais elle est très vétuste, et peut accueillir à peine 200 personnes.


Le mémorial Charles Péguy
(Photo: Michel Gislais)

Jean Espinasse
(Source privée)

Toujours est-il que c’est là, sur la tombe de Péguy, qu’en 1952 le Père Espinasse retrouve le Père de Mallmann. Jean de Mallmann est lui-même un ancien élève d’HEC ; il a éprouvé sa vocation sacerdotale au cours de sa première année d’études, et il a largement contribué à fonder l’aumônerie de l'École des Hautes Études Commerciales, avant d’en prendre la responsabilité en 1931.

Et voici que les deux prêtres s’entendent pour que Jean de Mallmann assure le remplacement d’été 1952 de Jean Espinasse. Il  prend conscience alors de l'étendue des besoins, et donc de l'immensité de la tâche à accomplir.

Et, le 25 octobre, il amène pour la première fois à Villeparisis, Jean Robert (HEC 1923) qui fait lui aussi le même constat.

C’est alors que Jean Robert va proposer au P. Espinasse son projet de construction. « Moins une église qu’un centre paroissial », précise-t-il, se souvenant peut-être qu’à l’origine de tout se trouve un projet avorté de foyer étudiant. C’est cette idée qu’on retrouve dans le fait que Notre-Dame de la Paix comprend non seulement une église, mais une chapelle (actuellement utilisée comme réserve pour un service d’entraide) et une salle paroissiale ; encore le projet initial prévoyait-il aussi le presbytère.

À partir de 1953, et pendant dix ans, le Comité des anciens se consacrera presque exclusivement à cette tâche, animé par une petite équipe où on retrouve Jean Robert, mais aussi A. Pineau, J. Poisson et B. Clerc.

Et le Cercle des anciens, sous l’impulsion notamment de Jean Robert, entreprend de construire Notre-Dame de la Paix ; il va décider de revendre l’immeuble, ce qui permettra le financement d’une bonne partie de l’opération.


La maquette du projet original
(Source: carte postale éditée par l'ACEV)

Une grande idée venait de naître; elle allait embraser l'esprit et le coeur d'hommes entreprenants

 

Trois de ces grands anciens: de g. à dr.: Bernard Clerc, Hubert Cloix, Alain Pineau
(B. Clerc: source privée; H. Cloix: Photo: Michel Cavey-Lemoine; A. Pineau: source: Notre-Dame de la Paix, plaquette)

Chronologie de la construction:  

En 1951, un terrain de 2 500 m2 sur lequel se dressait la "Villa des friches", se trouve disponible à l'angle de l'avenue Garros[5] et de l'actuelle avenue du Général De Gaulle.

Un premier lot de 1.300 m2 est acquis : le financement provient pour partie de la revente du terrain de la chapelle, le reste est fourni par les paroissiens, sur une idée lancée par le Père Espinasse : c’est "l'opération Petits Carrés" : 1m2 = 250 Francs. La deuxième partie du terrain soit 1 200 m2, sera achetée par les HEC en avril 1954 (on voudra bien se souvenir qu'il s'agit de francs de 1955, grossièrement 100 francs = 2 euros).

Dès octobre 1952, est créée l'Association pour la Construction de l'Église de Villeparisis (ACEV) ; elle est présidée par Jean Robert.

Les besoins de financements sont évalués à l’époque à 22 millions de francs ; en fait il a probablement fallu trouver plus du triple.

 


La Villa des Friches: un exemple des cabanes que se contrsuisaient les jardiniers parisiens
(Photo prêtée par Jean-Paul Danloup)

L’équipe de Jean Robert démarchera tous les anciens élèves, par de multiples voies, et trouvera ainsi 422 donateurs, que Jean Robert aura à cœur d’impliquer dans le projet en les consultant et en les incitant à venir sur place, cherchant ainsi à créer un lien fort entre Villeparisis et HEC (pour cette raison il est capital d’entretenir ce lien). D’autres sources seront les quêtes paroissiales, les ventes de charité, les dons en nature de certaines entreprises, les prêts à faible taux…

Les ventes de charité

H. Cloix connaissait les ventes de charité dans les campagnes et dans la chapelle Saint Joseph de Paris qu’il fréquentait dans le Xe arrondissement. Avec les ventes de charité de l'ACEV il découvre un monde nouveau ; il participe à toutes les réunions et tout le travail de réalisation. Cela se passait chez Mme Jean Robert, rue d’Anjou. Dans son grand salon une vingtaine de dames se réunissait et échangeait ses idées en se proposant de tenir un stand : mercerie, parfumerie, porcelaine, nourriture, vin, alcool… Ces dames se désignaient sous le nom de « dames vendeuses » ; peu importait leurs capacités de vendeuses, l’important était qu’elles aient des carnets d’adresses bien remplis : il fallait qu’il y ait des acheteuses, et qu’elles soient désireuses de faire plaisir à la vendeuse.

Le lieu choisi fut l’Hôtel Continental, dans une grande salle décorée à l’ancienne ; l’ensemble était retenu du vendredi au lundi.
- Le vendredi : installation : hall d’entrée, couloirs pièces sont parcourues par les dames vendeuses en tenue de travail ; des livreurs chargés de colis, quelques personnes de l’hôtel qui répondent à toutes les demandes ; c’est une vraie fourmilière.
- Deux jours de vente. Les dames vendeuses élégantes faisaient merveille.
- Lundi : on vide tout : c’est la débandade. Le commissaire a disparu, quelques dames et quelques livreurs récupèrent les invendus ; les jeunes restent sur place et aident Mme Jean Robert. Une grande dame en tenue de femme de ménage, qui range tout, qui évacue tout : objets sans valeur, invendus, P.Q., emballages vides…
- Résultats financiers, 4 ventes de charité rapportent chacune 4 à 4,5 millions de francs.
- Il faudrait être écrivain pour raconter ces ventes de charité : élégances, coquetteries, bonnes manières, un peu de suffisance, des auteurs connus qui dédicacent leurs livres, des jeunes qui présentent des disques, des visiteurs de marque…

(D'après les souvenirs d'Hubert Cloix)

L’église se construira à partir de février 1955 : la première pierre est posée le 30 janvier par Mgr Debray, évêque de Meaux, après quoi les murs sont élevés, en utilisant des pierres de calcaire en provenance de la carrière de Bonneuil en Valois.

Deux vues de la construction de l'église
(Source privée)

Les paroissiens étaient invités à financer la construction en achetant une pierre, les prix variant de 300 à 1 000 F selon ses dimensions.

La faucille et le goupillon

A cette époque l’école HEC était encore à Paris. Le cercle catholique envisageait de créer un foyer pour l’accueil des jeunes. Pour ce faire, comme toujours, il est fait appel au peuple, et s’est constituée une cagnotte assez substantielle. En bon gérant l’argent a été placé en titres. Comme il était prévu un déplacement de l’école, ce projet de foyer n’avait plus de raison d’être. On a donc proposé que cet argent serve à la construction de Notre-Dame de la Paix. Mais en cas de vente il y aurait eu une forte plus-value, avec un prélèvement fiscal très important. Pour obtenir une dérogation aux règles fiscales, un camarade inspecteur des Finances a présenté un dossier montrant que la plus-value ne profitait pas à des particuliers mais à une œuvre désintéressée. Finalement l’accord a été donnée par Paul Ramadier lui-même, ministre des Finances socialiste, et qui portait le sobriquet de Ramadoche ; par sa décision régalienne, passant outre toutes les lois, décrets et règlements, Paul Ramadier est donc en quelque sorte un bienfaiteur de Villeparisis.

(D'après les souvenirs d'Hubert Cloix)


Le coffrage du toit.
Remarquer la ressemblance avec un navire; thème qu'on retrouvera tout au long de la visite
(Photo: source privée)

Notre-Dame de la Paix sera bénie le 24 octobre 1958, toujours par Mgr Debray, et remise définitivement au curé et aux paroissiens le 22 juin 1968. Reste encore des travaux, et la messe d’action de grâces pour l’achèvement de l’église sera dite le 12 mai 1973. C’est à cette occasion que Jean Robert peut-être expliquera le plus clairement ce qui l’a porté :

En l'état de notre civilisation, l'on ne peut encore que manifester publiquement, par quelques exemples éclatants, où est la meilleure part de l'homme. Et comment pouvait-on mieux le faire, sinon dans le cadre d'une association d'individus essentiellement voués à la production (la direction de l'Association H.E.C. elle-même étant un bel exemple d'abnégation), en faisant qu'un certain nombre sache publiquement prendre de leur temps et de leurs forces pour les mettre au service de ce que le monde peut concevoir de plus désintéressé, bâtir des murs entre lesquels on ne viendra que pour s'ouvrir humblement à l'esprit, chercher de toute son âme ce qu'on pourra y mettre de plus beau, non pour soi-même, mais pour la gloire de Celui qui n'apparaît même pas, et qu'on porte en soi.

Jean Robert, cérémonie de remise de l'église aux paroissiens, 1973

 

La toute dernière étape sera la construction du campanile. Prévue dès l’origine, elle sera retardée, notamment faute de financement, et c’est encore Jean Robert qui trouvera la solution. Le campanile sera achevé le 16 mais 1996, mettant un point final à l’entreprise.

Le campanile

Il manquait seulement un clocher et des cloches. À l’initiative de Jean Robert toute l’équipe décide de construire un clocher.

On considère que la dépense ne doit pas dépasser 300 000 francs, et que toute dépense supérieure ne pourra pas être financée. Un premier projet respecte cette exigence, mais c’est affreux, c’est indigne de Notre-Dame de la Paix.

Maurice Novarina ressort un vieux projet en sommeil ; bien sûr il est plus onéreux, il représente plus de 3 fois les possibilités de financement. « Impossible », clame le trésorier : « nous n’aurons jamais les sommes nécessaires ». Projet fou, c’est vrai. Les sages opinent à ce refus, ils ont raison.

Cependant une voix s’élève : si Notre Dame de la Paix veut un clocher, c’est qu’elle va faire réussir l’opération ». Acte de foi que tous finalement acceptent et se lancent avec enthousiasme pour que l’argent rentre et que le clocher de Notre-Dame de la Paix se réalise pour la fierté de ses paroissiens.

La dépense a atteint 1 300 000 F y compris l’achat des cloches et la mise en conformité des installations électriques.Le financement : dons des paroissiens, des entreprises locales, des anciens élèves d’HEC, quelques subventions, notamment celle du Conseil Général d’Île de France grâce à la demande de Lucien Lanier qui a été préfet d’Île de France, conseiller régional et sénateur.

Notre Dame de la Paix a souhaité ce projet, grâce à elle il s’est réalisé.
(D'après les souvenirs d'Hubert Cloix)

 

 

 

Trois témoins du campanile:
La cloche "Emmanuel-Marie" à la fonderie.
Le coq du campanile
Les trois cloches juste avant leur installation.
Photos: Hubert Cloix


Le panneau mémorial avec son créateur
(Photo offerte par F. Almaviva)

Notre-Dame de la Paix à présent vit sa vie d'église paroissiale. Le lien avec HEC reste entretenu par des rencontres, un peu épisodiques, et la question se pose de savoir comment préserver le souvenir de cette entreprise peu commune.

Ce n'est pas là un sujet nouveau: déjà en 2000, sous l'impulsion de Frédéric Almaviva, jeune HEC reconverti dans la céramique, il a été décidé de confectionner un panneau mémorial, qui a été béni à Villeparisis le 18 novembre de la même année, et qui est maintenant exposé à l'école de Jouy-en-Josas.

Ainsi se boucle la boucle.

[1] Sur cette école, voir le site de HEC.

[2] Marthe Robin était une mystique française du XXe siècle autour de laquelle s’est développé un mouvement d’intense ferveur, et qui a eu (et conserve encore) une grande influence dans certains milieux catholiques. Voir pour détails le site des "foyers de charité".

[3] Voir par exemple le site interministériel http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/.

[4] On méconnaît que la bataille de la Marne ne s’est pas déroulée quelque part du côté de la Champagne profonde, mais que le front passait à deux pas de Meaux : la contre-attaque de Foch est lancée à Nanteuil le Haudouin à 50 km de Paris (voir par exemple le site de l'association "La cavalerie dans la bataille de la Marne) ; c’est bien pourquoi l’épisode des taxis de la Marne ne fut nullement une fantaisie.

[5] Dans le quartier où Notre-Dame de la Paix a été bâtie les noms de rue se trouvent fortuitement dédié aux aviateurs ; c’est ainsi que l’église jouxte l’avenue Roland-Garros, qui se trouve avoir été élève d’HEC dans la promotion 1908…

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