L'art sacré du XXème siècle

 

Le contexte historique :

Le XXe siècle a vu un important mouvement de renouveau de l’art sacré. La problématique de ce renouveau se trouve au carrefour de quatre notions.

Le manque de moyens :

Depuis la Révolution Française, les biens d’Église sont la propriété de l’État. Mais par le Concordat du 8 avril 1802[1] l’État français prend en charge une partie des dépenses de l’Église (par exemple le tiers du revenu des prêtres), et cette prise en charge durera tout au long du XIXe siècle. Rappelons que ce siècle, précisément, verra la construction d’un très grand nombre d’églises (environ 25% des églises françaises datent de cette époque), avec des financements mixtes, en partie privés et en partie publics.

Aux termes de la loi de séparation de l’Église et de l’État, survenue le 9 décembre 1905, les biens religieux demeurent propriété de l'État, qui se charge de leur entretien ; il pourra les affecter à l’Église. Par contre cette dernière sera propriétaire des édifices qu’elle construira ensuite, leur entretien restant à sa charge. Du coup l’Église n’a plus de légitimité à intervenir, artistiquement parlant, sur les édifices anciens, et elle se trouve naturellement limitée dans ses moyens pour en construire de nouveaux.

La première guerre mondiale :

La question va se compliquer du fait de la guerre : des églises ont été détruites, et il va bien falloir trouver une solution pour les rebâtir. Elles sont la propriété de l’État, et si ce dernier s’est engagé à les mettre à disposition des ministres du culte il n’a pas l’obligation de les reconstruire si elles sont démolies. La loi de 1905 va trouver là une limite, et il faudra ouvrir de nouveaux chantiers qui, joints à ceux que, pour répondre à la poussée démographique, l’Église doit ouvrir sur ses propres deniers, conduiront à la construction de milliers d’édifices. C’est notamment dans ce mouvement qu’en 1931 le cardinal Verdier fonde à Paris l’association « Les Chantiers du Cardinal[2] » qui interviendront notamment dans la construction et l’entretien de multiples églises en région parisienne.

Bien entendu la même question se posera au lendemain de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle 4 000 églises seront détruites.

L’évolution de  l’architecture sacrée au XXe siècle[3] :

On n’imagine guère l’influence qu’eut, dans cette affaire, l’irruption du béton armé.

C’est qu’il s’agissait, comme on l’a dit plus haut, de trouver un moyen de construire un grand nombre d’églises alors que les moyens manquaient et qu’il n’était guère question d’envisager le recours aux matériaux historiques comme la pierre.

Or de nouveaux matériaux existaient depuis peu, le moindre n'étant pas le ciment: les ciments modernes ont été inventés par Vicat dans les années 1840.

Sans doute n’y avait-il au demeurant pas que cela, et les architectes devaient brûler de montrer leur savoir-faire avec des matériaux modernes : en 1855 à Sainte-Cécile de Paris Boileau recourra à des piliers en fonte ; toujours à Paris, à Saint Jean de Montmartre, Baudot en 1904 utilise pour la première fois le béton et conçoit des piliers en brique armée.

Quoi qu’il en soit, l’utilisation du béton armé dans les édifices religieux va se répandre, notamment sous l’influence intéressée de l’ingénieur François Hennebique, dont l’entreprise était leader dans le domaine et qui obtiendra ainsi une part importante du marché de la reconstruction des églises après la Première Guerre Mondiale.


Eglise saint Jean de Montmartre
(source: Wikimédia commons)


Auguste Perret, par A. Bourdelle
(Source: Wikimédia commons)

Cette révolution n’alla pas sans polémique : on reprochait au béton de ne pas avoir la noblesse de la pierre, et en gros de ne pas être un matériau digne de Dieu. Et on se souvient que c’est par l’édification de Notre-Dame du Raincy (Voir le site de la paroisse) que les frères Perret[4] vont donner son essor définitif à la technique du béton armé, en démontrant les possibilités plastiques du matériau. Bien entendu il s'agissait également de démontrer qu'on pouvait construire une église dans des délais et à un coût imbattables.

Il est juste de rappeler que Saint Jean de Montmartre reste la première église dans laquelle on a utilisé le béton armé; mais le Raincy est le premier sanctuaire à n'utiliser que ce matériau (ses promoteurs n'avaient pas imaginé qu'il s'avérerait fragile au point de nécessiter, au Raincy mais ausi à Royan, des restaurations au bout de cinquante ans à peine, mais c'est une autre histoire).


L'église Notre-Dame du Raincy
(Photo Michel Cavey-Lemoine)

Dans le même mouvement, et sans doute à cause des perspectives ouvertes par ces nouveaux procédés, qui libéraient les créateurs des contraintes classiques (par exemple en matière de voûte), se posait la question du plan des églises : si jusqu’alors les églises étaient bâties avec un chœur, une nef et un transept, c’était pour des raisons fonctionnelles, esthétiques, théologiques, mais c’était surtout parce qu’il fallait tenir la voûte (voir dans "Architecture" la problématique de la voûte en plein cintre): et il n'y a que deux manières de la tenir: soit élever des murs extrêmement massifs, soit répartir la poussée de la voûte sur un grand nombre de piliers, d'arcs de décharge, de bas-côtés, de tribunes, cette seconde option permettant en outre de gagner de la place et de la lumière. Reste que tout cela était bien malaisé, surtout quand on ne disposait pour lier les pierres que de mortier à la chaux, dont les propriétés ne sont pas très bien adaptées à ces prouesses d'équilibre.

 Le plan classique d'une église, dit plan basilical
(Source: Wikipédia)

Un four à pain
(Source: Wikimédia commons)

Grâce aux nouveaux matériaux cette contrainte tendait à s’atténuer, de sorte que le plan basilical classique n’était plus le seul envisageable ; par ailleurs l’influence de l'art oriental (ou d'un art oriental pas forcément bien compris) poussait à des innovations. On assistera par exemple à un renouveau de la coupole. Tous les paysans savent faire une coupole : la coupole, c’est le four à pain.

Mais quant à réaliser une coupole vaste, c’est une toute autre affaire, que l’emploi du béton facilite beaucoup, comme en témoigne la coupole de l’église du Saint-Esprit à Paris, réalisée par François Hennebique. Bref on verra ainsi fleurir un certain nombre de pâtisseries romano-byzantines dont le Sacré-Cœur de Paris reste le modèle quasi insurpassable[5] (même s'il n'est pas que cela: il s'agit aussi d'une prouesse technologique et d'un modèle de rapidité dans la construction. Mais peu importe).


Notion de pâtisserie romano-byzantine
(Source : Wikipédia commons)

Mais on verra aussi des édifices se construire sur de tout autres plans, renouvelant ainsi non seulement l’architecture mais aussi l’utilisation même des églises, et jusqu’à la liturgie. C’est le cas par exemple des églises rondes ; l’église ronde n’est certes pas une nouveauté, mais ce plan n’était plus guère utilisé ; c’est lui qu’on retrouvera, par exemple dans la toute récente cathédrale d’Évry (Essonne) ou, à Paris, Notre-Dame de la Salette.

D'ailleurs il suffit de se promener dans Paris pour trouver des églises fascinantes ou déroutantes, comme Saint Luc, ou Saint François de Molitor. Sans oublier ce qui est peut-être le chef-d'oeuvre d'Auguste Perret, en matière d'art religieux tout au moins: la vertigineuse église Saint Joseph du Havre, dont le plan se réduit pratiquement à une croisée de transept surmontée d'une gigantesque tour totalement évidée, de sorte que le regard est aspiré par cette verticalité.


Une église ronde: cathédrale d'Evry
(Photo: B. Lecomte).

Le renouveau de l’art sacré :

Mais d’autre part si l’État a favorisé la construction d’églises tout au long du XIXe siècle, ce n’était évidemment pas pour rien : il s’agissait pour le Pouvoir en place, essentiellement de droite, de se concilier les catholiques, et il suffit de se promener dans les édifices de cette époque pour constater que l’art qui s’y exprime était d’un conformisme absolu. Alors que, notamment à la fin du siècle, l’art subit la révolution qu’on sait, les œuvres religieuses restent désespérément académiques.

Certains artistes vont essayer de secouer les choses. C’est le cas de Maurice Denis (Voir le site du musée qui lui est consacré), peintre qui fut très influencé par Gauguin mais qui professait également un christianisme très profond. En 1919 il fonde avec Georges Desvallières les Ateliers d'Art Sacré pour « former des artistes et des artisans à la pratique de l'art chrétien » et pour « fournir aux églises et spécialement aux églises dévastées par la guerre, des œuvres religieuses d'un caractère à la fois esthétique, traditionnel et moderne »[6].


Une oeuvre de Maurice Denis: église du Saint-Esprit: la Pentecôte
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)


Une oeuvre un peu crépusculaire de Georges Desvallières:
église du Saint-Esprit, chemin de croix
(Photo: Michel Cavey-Lemoine).

Le mouvement trouvera une postérité avec la création de la revue « L'Art Sacré », qui sera très rapidement dirigée par deux dominicains, Marie Alain Couturier et Raymond Régamey. Notons qu’à l’époque l’idée d’une spiritualité dans l’art n’est pas qu’une préoccupation chrétienne : le livre classique de Kandinsky est daté de 1910.

C’est le Père Couturier, sans doute, qui aura la plus grande influence. Au départ il était peintre, élève de Maurice Denis, puis très vite il entra dans les Ordres. Mais paradoxalement, alors que son maître voulait former à l’art chrétien des artistes chrétiens, le Père Couturier soutiendra que dès lors que l’artiste a du talent peu importe ses convictions[7]. Et comme il connaissait très bien le monde artistique de son temps, il sut mobiliser les plus grands noms autour de ses projets.

Les réalisations :

Dans cette mouvance on verra se réaliser de nombreux édifices, dont on se bornera ici à énumérer quelques-uns des plus connus :


É glise du Raincy: un vitrail de M. Denis
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)

L’église Notre-Dame du Raincy, (Seine-Saint-Denis, 1922-1923), avec notamment des vitraux de Maurice Denis. Comme on l'a dit c'est un véritable manifeste d'Auguste Perret pour le béton armé, qu'il considérait comme un matériau susceptible d'être au moins aussi beau que la pierre.

 


É
glise du Raincy: le chevet
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)

(En attente d'image)
La chapelle des Dominicaines à Vence (Alpes-Maritimes, 1951) édifiée par Auguste Perret et décorée par Matisse.

L’église Notre-Dame de Toute Grâce à Assy (Haute-Savoie) (Voir de très belles photos sur un site qui lui est consacré), 1938-1950), projet autour duquel Marie-Alain Couturier réussira à fédérer des artistes aussi importants que Léger, Chagall, Braque, Matisse, Bonnard, Lurçat, Rouault…, et où un crucifix fera l’objet d’un tel scandale qu’il coûtera sa place au Père Régamey.


Eglise Notre-Dame de Toute Grâce d'Assy (Haute-Savoie)
(Source: Wikimédia commons
)


A. Gaudi: église de la Sagrada Familia, Barcelone
(Photo: Martine Cavey-Lemoine)

On ne peut guère regarder la façade de Notre-Dame de Toute Grâce sans penser à Gaudi (Voir un très beau site qui lui est consacré)


Le Palais idéal du Facteur Cheval, à Hauterives (Drôme)
(Source: Wikimédia commons)

A moins qu’on ne préfère le facteur Cheval (Voir le site du Palais).

(Mais il n’est pas sûr que dans leur esprit, sinon dans leurs capacités, ces deux noms soient si éloignés l’un de l’autre).


La chapelle de Ronchamp (Haute-Saône, 1950-1955), élevée par Le Corbusier, sans doute la plus célèbre de toutes.

Notre-Dame de Royan, dont on trouvera une photo à l'article "architecture"

Et, peut-être comme une fine pointe, l’église Notre-Dame de la Paix à Villeparisis, qui en toute hypothèse se situe dans cette prestigieuse lignée[8].

 

Ronchamp: chapelle
(Source: Wikimédia commons)


Ce n’est pas qu’ensuite le mouvement vienne à se tarir : par exemple on verra s’élever en 1962 l’église sainte Thérèse du Rouget (Cantal), à l’évidence très inspirée de Notre-Dame d’Assy. Mais au début des années 60 le Concile Vatican II va changer radicalement les choses. Rest à savoir lequel, de l'architecture et de la liturgie, a le plus influencé l'autre.

 

 

Eglise du Rouget (Cantal)
(Photo: Michel Cavey-Lemoine)


Maurice Novarina :


Maurice Novarina (Source privée)

L’architecte de Notre-Dame de la Paix est Maurice Novarina (1907-2002), voir une belle présentation sur le site du Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement de Haute-Savoie).

Ce savoyard fut l’élève d’Auguste Perret, bâtisseur entre autres de Notre-Dame du Raincy. Il restera très attaché à sa région, et son activité se partagera entre les Alpes et la région parisienne. Il construira de nombreux édifices, qu’il s’agisse de bâtiments publics, de projets d’urbanisme ou d’ouvrages d’art ; cependant durant toute sa vie cet ami du Père Couturier s’intéressera aussi à la construction d’églises[9]. Certaines de ses œuvres sont bien connues. C’est notamment le cas de l’église Notre-Dame de Toute Grâce, au plateau d’Assy, et dont on a parlé plus haut. Les villeparisiens connaissent mieux à Paris la tour Super Italie (13ème arrondissement) et à Lagny-sur-Marne l’hôpital.


La tour Super-Italie à Paris XIIIe
(Source: Wikimédia commons)


[1] A bien y réfléchir il n’est pas si simple de voir dans le Concordat (voir le texte, par exemple en sur le site de la Revue de droit canonique de Strasbourg) un simple retour à l’alliance du sabre et du goupillon ; et si l’Église assurément y trouve son compte le texte n’en avalise pas moins quatre défaites capitales pour le clergé :

-  Les biens d’Église, confisqués par la Révolution, restent propriété de l’État, qui, il est vrai, s’oblige à les entretenir et à les mettre à disposition du culte (la loi de 1095, loin d’obliger l’État à le faire, se borne à l’y autoriser).

-  Les prêtres sont tenus de faire allégeance au pouvoir : la révolution avait connu les prêtres jureurs, et on sait de quel prix les réfractaires ont payé leur résistance ; le Concordat désavoue ces derniers.

-  La  nomination des clercs est subordonnée à l’aval du pouvoir, ce qui constitue rien moins qu’un retour sur l’issue de la Querelle des Investitures.

-  Le catholicisme cesse d’être religion d’État pour devenir « la religion de la grande majorité des Français », ouvrant ainsi la porte à la reconnaissance des autres cultes ; encore faut-il qu’en contrepartie le Pape reconnaisse les avantages que l’Église tire de la protection du Pouvoir.

Cette évolution est assurément tout à fait saine, du point de vue notamment de la démocratie. Reste que dans cette affaire le clergé, non content de manger son chapeau, allait manifestement à la soupe. Certes dans la pratique le Concordat apporte à l’Église des bénéfices immenses. Mais le prix à payer en termes idéologiques aura sans doute été insupportable pour le clergé de l’époque. Sans compter qu’en imposant, par exemple, aux évêques de jurer que « si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'État, je le ferai savoir au Gouvernement », on ne les rapprochait sans doute pas très efficacement du peuple, mais c’est une autre question.

[2] Voir sur ce point le site des Chantiers du Cardinal; on trouvera une plaque à la mémoire du Cardinal Verdier à l’église du Saint Esprit.

[3] On trouvera des données intéressantes dans les archives du Journal de France 3.

[4] Sur Auguste Perret, voir notamment le site de l'Académie de Versailles, où on trouvera d’extraordinaires photos.

[5] Quasi insurpassable car il est tout de même permis, quand on connaît par exemple la basilique Sainte-Germaine de Pibrac (Haute-Garonne), d’avoir une hésitation.

[6] Cité notamment en sur le site du Ministère de la Culture

[7] Voir par exemple le site pédagogique de l'Education Nationale ; toujours est-il qu’avec de telles conceptions le père Couturier donnera à Fernand Léger, communiste bon teint, le goût de dessiner les fabuleux vitraux de l’église du Sacré-Cœur à Audincourt (Doubs).

[8] Marie-Alain Couturier ne participera pas à l’aventure de Villeparisis : il décèdera en 1954 ; mais Notre-Dame de la Paix se place dans le droit fil de son action.

[9] Citons :

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L'évangile de pierre

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